Saturday, August 30, 2008

Le sadisme, la brutalité et autres passe-temps familiaux

Une (demi-)fiction cathartique.

***

Le grand problème de Fille Aînée, c'est qu'elle n'arrive pas à s'adapter à notre époque.

Elle est contre la barbarie, vous vous imaginez? Et ça peut vraiment devenir emmerdant.

Exemple: Je veux que Bébé termine son assiette de crevettes. Que faire? Moi, j'en prends une entre mes doigts, je la fais frétiller gaillardement, je prends une voix de crevette et je dis: "Non, non Madame, ne me mangez paaaaas! J'ai une femme et des enfants! Pitié, je vous en prie, piti-" et gloups! Je l'avale. Bébé, qui est une créature bien en harmonie avec notre ère dégénérée, rigole et avale le reste de ses crevettes en étouffant leurs cris de protestation par des "z'a besoin! z'a le D'OIT!" bien sentis.

En fait, Bébé aimerait bien que nous allions pêcher nous-mêmes nos crevettes. Au bazooka. En nous curant les dents avec un sabre japonais. Et en souillant la faune et la flore marines de nos râclures de gorge bilieuses et de nos pipis corrosifs. Pour vous dire toute la vérité, la réputation de Bébé est telle qu'il y a McCain qui a appelé à la maison pour savoir si elle voulait être son V.P. Mais quand Bébé a appris que les États-Unis étaient encore une stupide démocratie et non une tyrannie pleine de potentiel, elle a refusé.

Bref, avec Bébé, cuire les crevettes n'est qu'un prélude à leur torture psychologique. De l'amusement normal et hygiénique, quoi.

Mais, allez savoir pourquoi, Fille Aînée regimbe. Fille Aînée, elle, aimerait mettre au point une potion magique de vie pour faire ressusciter les crevettes grillées -- z'imaginez les maux de ventre.

Mère indigne tendant une crevette artificiellement frétillante à Bébé -- 'Oh, non, Madame, je vous en prie! Ne me mangez pas!'

Bébé -- Ha, ha! (Gloups!)

Fille Aînée -- Maman.

Mère indigne -- 'Songez à mes enfants, qui deviendront orphelins et n'auront plus personne à blâmer pour leurs malheurs!'

Bébé -- Hi, hi! (Croque!)

Fille Aînée -- Maman...

Mère indigne -- 'Songez que je n'ai pas encore fait mon pèlerinage à la faille de San Andreas, moi qui l'avais promis à ma pauvre mère avant que le gros requin la rattrape!'

Bébé -- Ho, ho! (Crounche!)

Fille Aînée -- Maman!!

Mère indigne -- 'Songez en outre que je viens de me refaire faire la poitrine à prix d'or et que mon mari n'a même pas encore pu en profiter! Pauvre crevette que je suis, mon sort est bien douloureux!'

Bébé -- Qu'est-ce qu'on se marre ici, saperlotte de cornegidouille! (Slurp!)

Fille Aînée -- Maman, arrête! Tu sais que je déteste quand tu fais ce genre de blagues.

Mère indigne -- Écoute, chérie, ce n'est pas que je n'en suis pas consciente. Mais il faudra que tu t'adaptes à une dure réalité: l'estomac de ta soeur est plus important que ta belle sensibilité. Pas mal plus, je dirais.

Fille Aînée, insultée, dit ce qu'il ne fallait pas dire -- Moi, en tout cas, je ne ferai jamais ça à mes enfants. C'est vraiment, euh, pas bien.

Le regard de Mère indigne se transforme alors sous vos yeux effarés mais éblouis: il devient froid. Sévère. Impénétrable. Reptilien.

Pas content.

Ça va mal se passer, mes tout-petits. Vous le sentez. Vous avez raison.

(En même temps, c'est ici que la fiction cathartique commence. Autrement dit, je me défoule en vous racontant du pas vrai. Z'a besoin, z'a le d'oit.)

Mère indigne -- Laisse-moi te raconter une merveilleuse histoire, chérie. L'histoire de ta conception. Comme tu le sais peut-être (je ne sais pas où vous en êtes avec ce récit dans la cour d'école, mais je prends pour acquis que, hein), tu es composée à moitié de l'ovule de maman, qui ressemblait à un grand soleil magnifique, et du spermatozoïde de papa, qui avait une gueule de petit têtard hargneux.

Fille Aînée -- Un têtard, hin hin...

Bébé, introspective -- On peut le...?

Mère indigne -- Non. Mais oui, un têtard. Hargneux. Et ta moitié têtard a dû se dépêcher, aller très très vite pour rejoindre ta moitié soleil. Parce que tu n'étais pas toute seule, mon amour. Ôôôôô que non. Vous étiez plus de deux cent cinquante millions à faire le sprint de l'amour. Deux cent cinquante millions. Plus de 62 millions de fois la population de notre maison. C'était la course, chérie. À fond la caisse.

Fille Aînée, impressionnée -- Et c'est moi qui ai gagné?

Mère indigne -- Oui, tu as gagné la course. Mais tu dois savoir que cette course, c'était aussi une course contre la MORT.

Fille Aînée -- (Cligne, cligne.)

Mère indigne -- Parce que tu sais ce qui est arrivé quand tu as touché le soleil en premier? Quand tu as crié "Hourra! J'ai gagné! Z'êtes nuls, les mecs!"? Tu sais ce qui s'est passé?

Fille Aînée -- N... non?

Mère indigne -- Les autres, ils sont tous morts. Tu comprends? Morts. Morts.

Bébé, réjouie -- Hou, hou!

Fille Aînée écarquille les yeux. On peut y lire l'incertitude ("ma mère est quand même susceptible d'exagérer...") mais aussi l'horreur ("...quoique peut-être pas").

Mère indigne -- Au cas où tu entendrais cette expression, le "péché originel", ben c'est ça. Tu avais du sang sur les mains alors que tu n'avais même pas encore de mains. Et même pas encore de sang, en fait.

Silence.

Mère indigne -- Alors j'aimerais vraiment que tu te souviennes, ma chérie, que quand ta mère bouffe une crevette, elle n'en tue pas 250 millions en même temps, elle.

Fille Aînée baisse la tête, repousse son assiette et descend dans sa chambre. Du sous-sol, on entend vaguement Queen chanter "Love Kills".

Père indigne -- C'était vache. Et c'était même pas une bonne analogie.

Mère indigne laisse poindre un rictus satisfait.

Fille Aînée, au loin -- Un jour, je la mettrai au point, cette potion magique! Et toutes les crevettes que vous avez mangées reviendront vous hanter!

Mère indigne, sans pitié -- Tu pourras PAS! Pour ta potion, ça va te prendre des yeux de grenouilles et des ailes de chauve-souris, et t'oseras PAS leur faire du mal! Na-na-nèreuh!

***

Plus tard, cette nuit-là, j'ai rêvé que 250 millions de crevettes me menaçaient avec leurs bazookas, en souillant mon lit de leurs crachats bilieux et de leurs pipis corrosifs. En me réveillant, j'ai dû me précipiter à la salle de bain.

Grosse indigestion.

Mais ça n'était sûrement qu'une coïncidence.

Wednesday, August 27, 2008

Un amour interminable

Comme vous le savez tous (oui, tous!), je termine depuis maintenant plusieurs années un doctorat en philosophie. Et ça serait bien que je le finisse pour de bon très bientôt, parce que la philosophie, comme je m'en rends parfois compte, ce n’est pas très bon pour le couple.

C’est vrai, quoi. Parfois, moi, je discute d’un point de vue com-plè-te-ment détaché des contingences de la vie. Je suis dans le méta-discours, mes loulous. Ça, c’est le discours au sujet du discours, loin, très loin, que dis-je, à une distance intergalactique du plancher des vaches.

J’hypothèse. Je théorise. J’épistémologise. Et soudainement, alors que je m'y attends le moins, on se met à me prendre au sérieux.

C’est pas juste.

Mère indigne – L’autre jour, je suis tombée sur un site Web qui croyait que la nanotechnologie permettrait un jour à l’homme de devenir quasi immortel.

Frère indigne, venu souper à la maison avec Belle-Soeur indigne – De quelle manière?

Mère indigne – Bon, j’ai pas tout compris, mais certaines personnes pensent qu'avec la nano, on pourrait vivre au moins trois cents ans. Tu t’imagines, vivre 300 ans?

Le regard de Mère indigne, rêveur, croise soudain celui de son tendre époux. «Tu t’imagines, chéri? Trois cents ans. Je ne pense pas que l’humanité pourrait continuer à fonctionner avec son schème idéalisant de couple-heureux-vivant-ensemble-pour- toujours.»

Père indigne – Qu’est-ce que tu veux dire?

Mère indigne – C'est évident. À la limite, c’est faisable de passer, disons, cinquante ans avec la même personne. Mais cent? Cent cinquante? Deux cent cinquante?? Les manies de l’être aimé doivent commencer à vous tomber sérieusement sur les nerfs. «Georges, voilà deux-cent-huit ans que je vous regarde vous gratter l’entrejambe tous les matins que Dieu a créés. J’en ai marre. Élargissons nos horizons. Vous m’avez eue toute à vous pendant plus de deux cents années, je me barre pour les quarante prochaines.»

(Notez comme Mère indigne théorise. Aucune référence à son vécu personnel. Que de l’hypothèse, de la supputation, de la conjecture ridicule sans véritable fondement. Une vraie pro.)

Père indigne – Moi, je pourrais t’aimer pendant trois cents ans.

(Notez maintenant comme Père indigne personnalise le débat. «Moi», «je», «t’aimer». C’est un incurable romantique, PI, et Mère indigne, elle, est trop prise par la dimension intellectuelle fascinante du débat pour remarquer qu’elle enfile gaffe sur gaffe.)

Mère indigne – Moui, enfin, si Georges est un bon compagnon de route, je peux comprendre qu'on reste avec lui. Pourquoi tout changer à 175 ans pour se rendre compte de toute manière que tous les hommes sont des gratteurs d'entrejambe compulsifs? Par contre, vivre deux cent-cinquante ans avec la même personne, j’aime autant te dire que la monogamie, c’est foutu.

Père indigne se tait.

Mère indigne – Non, sérieusement. C'est mort.

Belle-Sœur indigne ferme à demi les yeux, comme quelqu’un qui voit de très près un 45 tonnes se diriger tout droit vers la grande muraille de Chine avec plus de freins.

Mère indigne – Déjà que… T’as vu les études? C’est à peine si certaines personnes peuvent attendre cinq ans avant de se gratter l’entrejambe devant une nouvelle conquête. Cinq ans, voyons, qu’est-ce que je dis là, moi? Cinq jours.

Belle-Sœur indigne – Ils ont fait un épisode sur ce sujet-là dans une série télé américaine. Curb your enthusiasm. Le mari et la femme renouvelaient leurs vœux de mariage, et dans le discours de la femme, elle parlait d’amour éternel, blablabla. Le mec s’énervait en disant qu’il n’avait pas signé pour ça.

Mère indigne, à son mari chéri – Ben tu vois? Je ne suis pas la seule à avoir des inquiétudes du genre! L’éternité, en plus, t’imagines.

Père indigne, véritable diable's advocate qu’on peut presque soupçonner d’encourager Mère indigne dans sa spirale infernale de raisonnement fâcheux, vu le petit sourire qu'il a aux lèvres – Moi, si on vivait éternellement, je continuerais à t'aimer quand même. Et même après ma mort, si le Paradis existait, je t’aimerais toujours.

Frère et Belle-Sœur indigne parient discrètement sur l’issue de la lutte. Uxoricide ou maricide? Mère indigne ne part pas favorite, et ça n’est pas près de s’arranger.

Mère indigne – Le Paradis? Woah, minute! Le Paradis? Mais… mais… le mariage est un contrat qui unit deux personnes vivantes, là. Si le Paradis existe, j’exige la table rase, moi! Non, mais quoi encore? Même rongés par les vers, on va aussi continuer à se taper l’hypothèque?

Frère indigne manifeste son accord en se grattant discrètement la zone du kiki.

Père indigne, refermant le piège avec un talent et une ruse exemplaire – Dis donc, juste pour savoir, ça te prendrait combien de temps, à toi, pour vouloir changer de mari?

Mère indigne, comprenant subitement que son discours épistémologique sans fondement dans la vraie réalité avait été perçu comme une déclaration d’intention sur des projets personnels – À moi? Pour vouloir changer de…? Mais, voyons! Il n’est pas DU TOUT question de nous deux, ici! Je… je théorisais! J’hypothésais! Je méta-discourais, cibole! Tu sais bien que je t’aimerai éternellement. C’est sûr. Pas de trouble. C’est comme si c’était fait.

Silence dans la salle.

Belle-Sœur indigne – Bien essayé, mais trop tard.

***

Quelques jours plus tard, Mère indigne ayant réussi par des manœuvres connues d’elle seule à se raccommoder avec un Père indigne (qui faisait semblant d’être) ébranlé, il fallut aller au dépanneur afin de renouveler le stock de lait. Autre preuve de sa bonne volonté, Mère indigne se sacrifia.

À la caisse, une vieille dame discutait avec le commis.

Vieille dame – Moi, monsieur, je ne me suis jamais mariée. Jamais! C’est la meilleure décision que j’ai prise de toute ma vie.

Mère indigne, curieuse – Avez-vous aussi réussi à éviter les enfants?

Vieille dame – Non… J’ai deux jumelles. Mais le père est mort. Il est bien, il est avec Dieu, et bon débarras. La maudite paix.

Mère indigne – Ce n'est pas pour vous inquiéter inutilement, madame, mais si le Paradis existe, votre Roger, là, il est probablement en train de vous attendre en se la grattant.

Monday, August 18, 2008

Faites ce que je dis, pas ce que je fée

Sœur Indigne – Je t’annonce officiellement que Fille Aînée est une pré-adolescente.

Mère indigne – Quoi? Je te la fais garder deux jours et tu me la pervertis moralement?

Sœur Indigne – En fait, c’est elle qui m’a posé la question. « Tante Indigne, à quel âge est-ce qu’on devient une pré-adolescente? »

Mère indigne – Et tu lui as répondu…?

Sœur Indigne – « Ton âge. »

Mère indigne – Génial. Merci.

Sœur Indigne – C’est tout naturel.

Mère indigne – Non, sérieusement, je suis bien prête à croire que Bébé est dans sa pré-adolesc—

Bébé – NOOOOON!!! Moi lé PAS dans la p’éadolesse, BON! Moi z’a le DROIT! Moi z'a BESOIIIIN!

Mère indigne – Enfin, tu vois ce que je veux dire. Mais Fille Aînée?

Sœur Indigne – T'aurais dû voir ça. C’était super mignon. Quand je lui ai annoncé la bonne nouvelle, elle s’est plantée devant le miroir et a déclaré d’un air extrêmement satisfait : "Aujourd’hui, je suis devenue une pré-adolescente."

Mère indigne – Le pouvoir des mots. Qu’est-ce qu’elle a fait, ensuite? Elle est allée se faire tatouer le nom de son moniteur de camp de jour sur la fesse gauche?

Sœur Indigne – En fait, elle a continué à jouer aux petits bonhommes de princesse avec sa cousine.

Mère indigne – Voyez-vous ça. En plus, ça se déclare pré-ado, mais ça croit encore au Père Noël.

Sœur Indigne – Et à la Fée des dents, non?

Mère indigne – Sans parler du Lapin de Pâques. Je t’ai déjà parlé de ma grande crainte? J’ai peur que le moment où elle va frencher un gars pour la première fois chevauche sa période "je crois encore au Père Noël". Et pas nécessairement parce qu’elle va être précoce sur les frenchs.

Sœur Indigne – Moi, ta fille, je pense qu’un gars qui va vouloir la frencher, ça va être super facile.

Mère indigne – Arrête! Comment ça??

Sœur Indigne – Il va seulement avoir à lui demander "Savais-tu que le Génie de la Langue apparaît si on les frotte ensemble?"

Mère indigne – …

Sœur Indigne – (Cligne, cligne.)

Mère indigne – En tout cas, j’en connais une que la Fée Tais-Toi-Bordel s’est pas penchée sur son berceau quand elle était bébé.

Sœur Indigne – Gnac, gnac.

Thursday, August 14, 2008

C'est lui, son idole

Mère indigne, Fille Aînée et Bébé sont installées devant les Olympiques. Enfin, devant la télévision d'État, qui parle des Olympiques. Déjà, par son regard plein d’espoir tourné vers la lampe suspendue accessible par la table de la salle à manger, on peut voir que Bébé subit la mauvaise influence des gymnastes.

Mais ce n’est rien, comparé à ce qui nous attend.

La disgrâce.

L’horreur.

Le mal absolu.

Le mal absolu, j'ai nommé le reportage d'intérêt humain.

Dans ce cas précis, le reporter (Jean-René Dufort, pour pas l'nommer), dans une quête inconditionnelle de la vérité globalisante, a pensé profiter de son séjour en Chine pour tester la gastronomie locale. Et il a décidé d'expérimenter, directement sous nos yeux subjugués et éblouis, un mets de choix.

Fille Aînée – Maman. C’est pas vrai. T’as vu??

Mère indigne – J'ai bien peur que oui.

Bébé – ...

Fille Aînée – Est-ce que le monsieur, il va vraiment goûter au…

Mère indigne – J'ai bien peur que oui.

Bébé – ...

Reporter, à la tévé – C’est ça, c'est cette patente, là? Ça vient du serpent? Oui? Alors voilà, j’y goûte…

Mère indigne et Fille Aînée – Ouache.

Bébé – ...

Reporter, toujours à la tévé car pas question de l'inviter chez nous -- Mmmm, celui du chien est un peu gluant…

Mère indigne et Fille Aînée – Ah, ouache!

Bébé – ...

Reporter, qu’on va bientôt lui couper le sifflet sans lui donner l'avis de 30 jours –
Hé bien voilà, en direct de Beijing, veni, vidi, man-

Bébé – Manzé. Holy Virgin Mary Mother of God, on peut le manzer.

Mère indigne – Merde.

C'est bien, les reportages d'intérêt humain. Dans ce cas précis, on a réussi à contrer mon influence maléfique de mère pudibonde en montrant à Bébé qu’on pouvait, après tout, goûter à des zizis-pénis. Une pièce d'information que, dans notre monde évolué, il fait bon posséder à tout âge et se remémorer en toutes circonstances, afin d'être prête (et prêt) à faire face au premier rendez-vous dans une vieille Tercel, au rite d'initiation universitaire ou à la promotion-canapé.

Mais je vous préviens, ô monde du reportage d'intérêt humain. Au moindre problème médical ou psychologique dont je préfère taire les détails sordides, je vous envoie la facture.

Oldies goldies

La communauté en ligne Ladies Room m'a gentiment demandé la permission de piger dans mes archives pour leur journée "Histoires de famille". Dans leur grande sagesse, les éditrices ont choisi un des textes que j'ai eu le plus de plaisir à rédiger: Mère indigne fait sa bougonne

Merci à Ladies Room pour leur invitation, et à tous les nostalgiques, bonne relecture!

Tuesday, August 12, 2008

L'homard en héritage

Les filles, faut que je vous dise. C’est encore arrivé.

Vous vous souvenez d’Ex Indigne? Le gars qui ne m’a pas adressé la parole (et vice-versa, d’accord) pendant douze ans, sous prétexte qu’on avait rompu de manière un peu brutale? Et avec qui je me suis finalement réconciliée, parce que je suis comme ça, moi, bonne pâte, magnanime, parfaite?

Bon, ben l’autre soir, j’ai encore été au resto avec lui. Comprenez-le, le pauvre homme : il vient tout juste de divorcer, ça n’a pas été facile, et il voulait marquer l’occasion avec une bonne amie, tout simplement.

Touuuut simplement.

(Sans blague, j’adore raconter cette histoire. Non, mais, vous vous rendez compte? Tout le monde à qui j’en parle prête de mauvaises intentions à Ex Indigne. À lui! Pas à moi! Et ça, je vous prie de me croire, c’est rarissime.

Évidemment, je profite de ma position de victime pour en rajouter.)

Mère indigne – Tu sais, quand on était ensemble, il y a quinze ans, tu m’impressionnais tellement que ça me poussait à faire plein de conneries pour que tu m’apprécies.

Ex Indigne, bonne pâte, magnanime, parfait – Tu sais bien que tu n’avais pas à faire ça.

Mère indigne – Mais j’étais tellement jeune! Et il y avait une certaine différence d’âge entre nous, il faut bien l’admettre. Pour ne pas dire une différence d’âge certaine. Je ne voulais pas me l’avouer à moi-même, mais ça m’affectait.

Ex Indigne, un peu déçu tout de même – Je n’ai pas l’impression que ça t’affecte encore.

Mère indigne – Tu te trompes. J’ai l’impression que tu es mieux installé que moi dans la vie. Tu vois, tu peux te permettre de m’inviter dans un resto chic, et ça… ça m’intimide. Terriblement. Et c’est d’ailleurs parce que je suis toujours très intimidée et qu’inconsciemment, je te hais, que je vais commander l’entrée de foie gras poêlé à 55 dollars.

Ex Indigne – C’est effectivement ce que j’appellerais de l’intimidation.

Mère indigne – Tu rigoles…

Ex Indigne, grommelant
– Non.

Mère indigne – … mais tu ne devrais pas. C’est important, ce que je te dis là. Parce que je constate que je transmets sans le vouloir mes insécurités à mes enfants. Prends Fille Aînée. Elle est pareille comme moi, une vraie catastrophe! Toujours à vouloir faire plaisir, même s’il faut qu’elle se livre à toutes les bassesses pour y parvenir. En tant que mère qui ne veut pas que sa progéniture commette les mêmes erreurs qu’elle, ça m’inquiète. Et c’est pour ça que, l’autre jour, je lui ai parlé de toi. Je lui ai raconté la fois du homard.

Ex Indigne – La fois du homard?

Mère indigne – Oh, c’est vrai. Tu ne sais pas. Mon Dieu, ce qui est arrivé ce jour-là… c’était horrible. Je crois bien que c’est à ce moment précis dans notre relation que j’ai atteint le fond de la cage à crustacés.

Ex Indigne, l’air incrédule – Un homard?

Mère indigne – Mais oui, tu ne te souviens pas? On avait décidé d’aller au restaurant, et tu m’as demandé si j’avais déjà mangé du homard. Moi, je pensais que tu voulais dire du homard au restaurant. Alors j’ai dit non. Mais toi, tu as pensé que je n’avais jamais mangé de homard de ma vie. Tu étais tellement fier de me faire goûter à cette bestiole pour la première fois… Et moi, je voulais tellement bien faire… Je suis désolée de te dire ça comme ça, mais j’ai dû faire semblant du début à la fin.

Ex Indigne, estomaqué – Mais c’était absolument inutile!

Mère indigne – Je… j’avais besoin de ton approbation… La différence d’âge considérable que nous avions alors… et que nous avons toujours, je te signale…

Ex Indigne – Oui, bon, ça va…

Mère indigne – Enfin bref, j’ai menti. J’ai fait semblant d’utiliser des pinces à homard pour la première fois de ma vie, de ne pas savoir comment les tenir, d’hésiter avant de prendre la première bouchée. Et arrivée là, j’ai levé les yeux au ciel en signe d’extase, j’ai fait des «oooh» et des «aaaah» d’une voix rauque de plaisir, en espérant que j’aurais l’air suffisamment convaincue. Tu te rends compte! J’ai feint l’orgasme gustatif. Et toi, tu trouvais ça follement émouvant.

Ex Indigne – Dis donc, cette fois-là, justement, tu ne m’avais pas foutu plein de jus de citron dans l’œil? Il me semble que j’avais dû aller aux toilettes pendant une quinzaine de minutes, le temps de retrouver la vue.

Mère indigne – Je pense que je n’avais pas fait exprès - j’en suis presque certaine -, mais au moins, ça m’avait permis de finir mon homard tranquille.

Ex Indigne lève les yeux au ciel.

Mère indigne – Quoi qu’il en soit, je me suis dit qu’il n’était pas question que ma fille suive les traces pathétiques de sa génitrice. Je lui ai tout avoué, en espérant qu’elle sache en tirer les leçons.

Ex Indigne – Et les leçons furent-elles tirées?

Mère indigne – Elle m’a dit que je lui avais déjà raconté cette histoire quatre fois, mais qu’à cause de mon plaisir manifeste à lui en parler, elle n’avait pas osé m’interrompre.

Ex Indigne – Ça doit être la différence d’âge entre vous… Ça doit l’intimider.

Mère indigne – En tout cas, de t’avoir avoué tout ça, ça me soulage, tu ne peux pas savoir à quel point. On devrait fêter ça. (Se tournant vers les cuisines :) Garçon, champagne! Pour tout le monde!

Ex Indigne, le visage tout blanc, soudain – ???

Mère indigne, battant des cils – Est-ce que je t’ai déjà dit que je n’avais jamais, jamais bu de champagne? De toute ma vie? Pour le moment, tu es sous le choc, mais tu vas voir. Tu vas finir par trouver ça follement émouvant.

Sunday, August 10, 2008

L'étiquette, encore et toujours

Bébé -- Attention, Blansse-Neige. Moi ze suis la Méssante Reine.

Mère indigne -- Oh, Méchante Reine, que me voulez-vous?

Bébé -- Z'ai une pomme emPOIzonnée! (Bébé me tend une pêche.) C'oque... c'oque... C'OQUE!!!

Mère indigne, croquant la pêche -- Aaaaargh...

Bébé -- Pis là, Blansse-Neize, on dit MARSI!

Siffler en périssant, lalala-lala-lala...

Thursday, August 07, 2008

Poisson à un autre appel

Tout le monde ici n’est pas sans savoir que Bébé a une personnalité forte.

Forte et, ma foi, peut-être quelque peu perturbée.

Par exemple, dans Macaroni tout garni, elle s'identifie à Pouache-le-Ouache. "Maman, rega'de! C'est Bébé qui l'est arrivéééé! C'est moi! Moi ze vole! Moi l'est tout brun!" No comment.

Mais il y a pire. Le meilleur copain de Bébé est, en quelque sorte, un ami imaginaire. 

Une camaraderie complice s'est en effet installée entre elle et une image, qui se trouve dans un livre décrivant les merveilles des fonds marins. Lors Bébé, matin et soir, ouvre le livre à la bonne page (cette dernière toute abîmée de recevoir tant d’attention) et discute le bout de gras avec son pote, allant même jusqu’à lui expliquer la signification profonde de certains épisodes de Dora.

De quelle image s’agit-il? Allez, un petit effort. Pensez fonds marins. Fonds très, très profonds. Pensez créatures qui vivent dans le noir absolu et qui, ergo, n’en ont rien a foutre de l'apparence extérieure, de la séduction, de la peau lisse et des bad hair days

Bref, songez « bêtes immondes ».

Ensuite, imaginez-vous le pire d’entre ces monstres. Hé ben voilà, c’est lui. Le meilleur ami de Bébé. Celui qu’elle a affectueusement surnommé : Poisson Méchant.

Lui:


Bébé – Bonzour, Poisson Méssant! Ça va bien, Poisson Méssant? Bébé s’en va à la ga’derie, mais ne t’inquètte pas, Poisson Méssant. Ze reviens. Deux minutes.

(Plus tard.)

Bébé – Ça va, Poisson Méssant? Bébé est revenue, là. Ze te raconte Blansse-Neize, oké? Oké. Là, Poisson Méssant, la méssante reine avait un miroir…

Mère indigne – Oh! Tu racontes l’histoire de Blanche-Neige! Est-ce que je peux l’écouter aussi?

Bébé – NOOOOOON! Moi le raconte l’histrare à POISSON MÉSSANT!!! Z’ai le DROIT! Moi z’ai BESOIN! Toi tu peux PAAAAS! Va-t'en! (Puis, pleine de sollicitude:) Pleure pas, Poisson Méssant, c’est ma maman. Elle peut pas.

(C'est à ce moment que Mère indigne , telle Blanche-Neige dans la forêt inhospitalière, s'enfuit pour sangloter dans les toilettes.)

Je vous avoue que, victime d’un tel rejet, et en faveur d’une bestiole aussi grotesque, j’éprouve parfois du plaisir et un certain soulagement à me réfugier auprès de Fille Aînée.

Fille Aînée, elle, veut faire plaisir à sa maman. Fille Aînée, elle, comprend que je ne suis pas passée par les inconvénients de la grossesse (pas d’alcool, ou presque) et par les douleurs de l’accouchement (même avec l’épidurale, ça fait mal pareil, si si) pour me faire traiter comme un chromosome de concombre par le fruit de mes entrailles.

Bref, Fille Aînée, elle est mignonne.

Mère indigne – Alors, mon cœur en sucre, qu’est-ce que tu as fait de beau aujourd’hui au camp de jour?

(Par réflexe, j’approche mes mains de mes oreilles pour les boucher en cas de hurlement strident, mais ça n’est pas le genre de ma mignonne Fille Aînée.)

Fille Aînée – J’ai trouvé la réponse à une énigme! Je n’osais pas la dire devant tout le monde, mais mes amis me disaient « Oui! Oui! Dis-le! »... Alors j’ai pris une chance.

(Trop mignonne.)

Mère indigne – C’était quoi, l’énigme, mon petit pain au chocolat?

Fille Aînée – « Plus on est loin, moins on y pense. Plus on est proche, plus on y pense. Mais une fois que c’est arrivé, et une fois que c’est passé, on n’y pense plus. » Tu vois ce que c'est?

Mère indigne, nulle dans plein de domaines dont celui des énigmes à la mord-moi-le-nœud (et ne le sont-elles pas toutes, ces salopes?) – Je n’en ai vraiment aucune idée.

Fille Aînée – Moi, au début, j’ai pensé que la réponse, c’était "notre anniversaire". Mais je pense au mien pas mal tout le temps – avant, pendant, après–, alors…

(Mignonne de chez mignonne.)

Fille Aînée – Ensuite, j’ai pensé à l’amour. Mais il me semble que même quand c’est passé, on y pense encore, hein, Maman?

(Mignonne, et sage.)

Fille Aînée – Alors, il ne restait plus qu’une seule chose.

Mère indigne (qui n'essaie même pas vraiment, faut dire) – Laquelle?

Fille Aînée – La mort.

(Super mign–)

Mère indigne – La mort?

Fille Aînée – La mort.

Mère indigne – Tu… tu avais déjà lu cette énigme dans ton livre de dragonologie? Tu la connaissais déjà?

Fille Aînée – Non, non. J’y ai pensé toute seule. Je me suis dit, tu sais, plus on vieillit, plus on a peur de mourir, mais une fois qu’on est mort… j’veux dire… on aura beau faire… y’a plus rien. On ne peut plus vraiment penser. Soit notre cerveau est brûlé, là, tu sais, s'ils nous mettent dans le four, soit les vers nous le mangent par en-dedans. Alors.

Mère indigne – …

Fille Aînée – En passant, tu ne m’as toujours pas dit si le Père Noël existait ou non.

Mère indigne – Attends deux minutes, chérie. Tiens, voilàààà. Je te passe le Traité du désespoir de Kierkegaard et L’Être et le Néant de Sartre. Tu me lis ça, et ensuite, on se reparle du Père Noël. En attendant, je vais aller discuter de la beauté du crépuscule avec Poisson Méchant. J’ai le droit. Et Dieu sait que j’ai besoin.

Tuesday, August 05, 2008

Soeur fou rire

Les filles, en tondant le gazon ce matin, j'ai eu une révélation. Bien entendu, je me suis tout de suite précipitée vers Père indigne pour lui en parler.

Mère indigne -- Chéri, en tondant le gazon ce matin, j'ai eu une révélation. Bien entendu, je me suis tout de suite précipitée vers toi pour t'en parler.

Père indigne -- Ne me dis pas que tu as compris que j'étais fantastique?

Mère indigne -- Bien sûr, tu es forminable, comme dirait Bébé. Mais non, c'est pas ça. J'ai eu un flash. Quand j'allais à l'école au collège de soeurs, en secondaire 1 et 2, y'avait Soeur Pauline. Elle nous fascinait parce que, contrairement à la majorité de ses collègues, elle avait eu la vocation sur le tard. Je me souviens encore du moment où elle nous avait raconté qu'elle s'était mariée, qu'elle avait eu deux enfants, et qu'à trente-deux ans, elle avait reçu l'appel du Seigneur.

Père indigne -- Wow.

Mère indigne -- Ben, c'est ça qu'on se disait! Wow! Elle avait un couple, une famille, mais l'appel de Dieu était si fort qu'elle a quand même tout laissé tomber pour s'enfermer dans un couvent. Le renoncement total. Mais ce matin, j'ai compris. Tu vois ce qu'elle a fait, Soeur Pauline?

Père indigne -- Elle s'est barrée.

Mère indigne -- Ex-ac-te-ment!! Elle s'est barrée! La vie de famille, le mari, les petits monstres, les repas, les couches, les crises, les lunchs, le gazon... Elle en a eu marre et bonsoir la visite! Allez que je m'enferme toute seule dans ma petite chambre avec ma Bible et mes romans policiers, je deviens une sainte femme et j'ai la sainte paix. Alors là, chapeau, Soeur Pauline! Un vrai coup de génie! Elle doit encore en rire dans son lit le soir, en lisant le dernier Lawrence Block. (Silence admiratif.) Le pire, tu sais c'est quoi?

Père indigne -- Quoi?

Mère indigne -- Un jour, Soeur Pauline m'avait demandé de rester avec elle après la classe. Quand toutes les autres élèves ont été parties, elle s'est penchée vers moi, m'a regardé droit dans les yeux, et m'a annoncé solennellement que Dieu avait besoin de moi. J'étais terrorisée.

Père indigne -- Laisse-moi deviner. Maintenant, tu commences à trouver ça moins effrayant.

Mère indigne -- L'appel de Dieu, chéri. L'appel de Dieu... Je le sens, LÀ! Il y a comme une force irrésistible qui prend possession de moi, une soif inextinguible de Le servir...

Père indigne -- Ça va quand même impliquer que tu renonces à pas mal de trucs, foie gras et Barsac pour commencer.

Mère indigne -- Oh! Attends, je ne t'ai pas dit le meilleur. Dieu a seulement besoin de moi pendant une semaine. Dans un Club Med. Ensuite, il se peut qu'il ait encore recours à mes services, mais de manière toujours très ponctuelle.

Père indigne -- Ta soudaine vocation a l'air un peu trop taillée sur mesure.

Mère indigne -- Les voies de Dieu sont impénétrables. Et c'est comme ça qu'on les aime.